18/02/2010

L'ombre de Saddam plane sur les élections

300px-UStanks_baghdad_2003.jpgParmi les débris d’une Bagdad renaissante, il n’y a pas que les sabres croisés de l’arc de triomphe du parc Zawra, dans la zone verte, pour faire planer l’ombre de Saddam Hussein sur l’Irak. Même mort, l’ancien dictateur continue d’imprimer son empreinte sur la société irakienne et le jeu politique qui agite les blocs en lice pour les élections législatives du 7 mars.
Photo d'archives


La « débaassification », assimilée à une purge des partisans du régime de Saddam Hussein, est devenue l’un des enjeux de la campagne, sous l’impulsion de l’actuel Premier ministre Nouri Al Maliki. En rouvrant le dossier épineux de l’épuration, qu’il avait pourtant contribué à fermer dès 2006 en réintégrant dans l’appareil d’Etat 32 000 anciens baassistes, le leader du parti Dawaa a réactivé la peur de Saddam Hussein. L’élimination de plus de cinq cents candidats aux législatives, tel le ténor sunnite Salah Al Moutlaq, sur le motif de leur appartenance au parti Baas, sonne pour tous les observateurs comme un prétexte pour éloigner les prétendants potentiel au Parlement. Mais aussi comme un signal fort envers la société irakienne chiite, kurde et chrétienne, longtemps victimes des exactions d’une administration fondée sur la peur et la délation.
L’Alliance nationale irakienne (ANI), composée du Conseil suprême islamique irakien et du mouvement de Moqtada Al Sadr, enrage de ce revirement qui a donné l’initiative au Premier ministre. Djalal Eddine El Saghir, président du groupe parlementaire du CSII, peine à contenir sa colère : « A l’époque, je me suis élevé contre cette décision de réintégrer les baassistes. J’ai crié au parlement, en 2008, pour réagir. Al Maliki aurait dû être jugé pour ça. Et désormais, il cherche à camoufler cette erreur en lançant la débaassification ! » Le député ne soutient pas l’idée d’une épuration aveugle : « Le souci, c’est qu’Al Maliki a réintégré les baassistes sans distinction. Il n’a pas respecté les règles. Je suis conscient qu’une bonne partie des baassistes n’ont pas de sang sur les mains. Mais pour que le processus démocratique survive, il faut une harmonie entre le peuple, les politiques et la constitution. En réintégrant les baassistes, on viole la constitution. »
La réconciliation nationale ressemble aujourd’hui à un horizon lointain, tandis que les audiences du tribunal qui juge les anciens rouages du régime passent en boucle à la télévision.
Le premier ministre Al Maliki a lui-même réactivé les vieux démons de la dictature. A l’automne dernier, il coupait contre toutes attentes les ponts avec la coalition formée avec le CSII, l’Alliance irakienne unie. Décidé à mener la barque à sa manière, Nouri Al Maliki avait tenté d’imposer à ses alliés non seulement son nom pour un second mandat, mais il avait aussi cherché à extraire du gouvernement les quelque personnalités qui lui étaient peu favorables au profit d’amis plus conciliants. La réaction a été violente. D’autant plus violente que la tentative d’Al Maliki porte en elle les germes d’un mal irakien : l’idée que seul un homme fort, autoritaire, à la poigne écrasante peut mener une nation irakienne où les armes s’exposent aux murs comme des œuvres d’art. « L’Irak vit depuis 90 ans et les gens croient encore que c’est la loi du plus fort qui domine, analyse M’Hamed Assadi, écrivain et farouche opposant de Saddam Hussein. Si la constitution est faible, le vide créé peut amener un homme à monopoliser le pouvoir entre ses mains. Je pense que cette tentation existe chez Nouri Al Maliki. » L’argument est repris comme une antienne par le CSII : « Al Maliki n’est pas un dictateur, louvoie le ministre des Finances Baker Jader Zubaidi, mais nous ne voulons pas ancrer la dictature. » La frontière est mince.
Enrôlés malgré eux dans une campagne qui les dépasse, les Irakiens tentent de négocier le tournant. « Nous sommes passés de la peur sous Saddam à une liberté totale dont nous ne savons pas nous servir, regrette Alaa Hussein Ali, directeur de clinique à Bagdad. Je suis optimiste pour l’avenir, mais il faudra du temps, dix, vingt ans peut-être, pour que la jeune génération oublie Saddam. »

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