27/02/2010

Afghanistan: la stratégie de l'enfermement

2010-02-26T160540Z_01_APAE61P18PJ00_RTROPTP_3_OFRTP-AFGHANISTAN-ATTAQUES-FRANCAIS-20100226.JPGDes expatriés barricadés, une ville où l'on s'observe avec méfiance, les check-points inutiles qui se montent à la va-vite... La logique barbare des taliban a montré vendredi son effroyable efficacité. Les attaques coordonnées vont - une nouvelle fois - coûter davantage que les 17 morts, dont celle du brillant réalisateur français Séverin Blanchet. Elles isolent encore un peu plus la communauté internationale du reste de la population. L'obligeant à se retrancher derrière de vastes murs de béton et de solides gardes armés, et laissant les Afghans seuls face aux extrémistes.
Photo Shamil Zhumatov


En 2004, tandis que l'Afghanistan rêvait encore à l'aboutissement du processus démocratique, Kaboul n'avait rien d'une forteresse piégée. Je ne vais pas jusqu'à dire que le danger était absent. Une roquette, tombée pas loin de l'ambassade des Etats-unis, avait rappelé durant mon séjour la permanence de la menace. Les EOD, experts démineurs de l'Armée française, ne coulaient pas des jours heureux dans la capitale. Mais les excursions dans cette capitale bruyante étaient possibles. Le commandant de la Bretesche me convoyait dans son P4 sans âge, et surtout sans regard pour la sécurité du passager. Avec les amis de l'association Aïna, les balades sur les bords de la rivière Kaboul, asséchée au printemps, s'improvisaient avec aisance. Nulle protection. Nulle inquiétude. L'étranger de passage pouvait se soumettre à la tradition en vogue à Aïna: se faire tirer le portrait par l'un des artistes kaboulis, en tenue taleb. Nous posions fièrement sur fond de paysage alpestre. Barbe fournie, turban sur le chef, le combiné d'un téléphone dans la main gauche, attribut de commandement sous l'ère obscurantiste! Le cliché, pris à la chambre photographique, était ensuite peint, les traits soulignés au crayon de bois. L'oeuvre d'art trône toujours dans mon bureau, symbole d'un temps presque innocent.
Les mesures de sécurité ne s'appliquaient réellement qu'à la nuit tombée. Il fallait alors éviter les rues sombres, rejoindre qui son hôtel, qui sa guesthouse, pour mieux repartir le lendemain se perdre dans les allées du Shor Bazaar, ou parmi les étals du marché aux oiseaux. Il n'était pas rare de se voir inviter à une partie de buzkashi, ce violent polo afghan, où les autorités aimaient à se montrer en compagnie d'occidentaux. Nous restions éberlués, en même temps que fascinés, par le spectacle des cavaliers se disputant un demi-veau. Il nous semblait que les "tchapendoz" si bien décrits par Kessel surgissaient devant nous.
Les promesses de liberté n'ont pas été tenues. Cinq ans plus tard, l'armée française m'astreignait à des règles de sécurité draconiennes. Pas question de prendre le taxi blanc et jaune, fidèle partenaire des Kaboulis. Nous étions sommés d'user les compagnies privées. L'opérateur téléphonique prenait notre réservation et nous offrait en réponse un numéro. A l'arrivée de la voiture, le chauffeur devait confirmer le sésame. Preuve de son origine contrôlé. Une fois sur deux, j'attendais en vain le convoyeur. Et je me résignais à héler un taxi branlant qui s'empressait de prendre l'occidental, source d'un profit indéniable pour une course rapide.
Je n'ai jamais aimé les contraintes qui vous poussent dans un camp retranché, dans un monde parallèle où l'argent fixe la survie. Mais allez dire aux soldats que vous préférez le P4 au 4x4 blindé!
Les lieux de distraction de Kaboul sont devenus des bunkers. "L'Atmo" (L'Atmosphère), bar-restaurant monté par un journaliste français, est aujourd'hui gardé par plusieurs hommes en arme. Une première porte ouvre sur un sas, qui ouvre sur un autre couloir, qui ouvre sur une autre porte. Le prix à payer pour savourer un verre de vin en terre d'islam.
J'en admire d'autant plus l'insouciance de cette jeune photographe française, rencontrée en mai 2009. Toutes les semaines, elle sellait l'un de ces chevaux nerveux et racés dont l'Afghanistan entretient la légende, et l'entraînait sur les pentes rocailleuses qui entourent Kaboul. Je l'imagine toujours, les cheveux à peine retenus par le voile, chevauchant sur une terre polluée par les mines. Libre.

16:19 Publié dans Analyse | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : afghanistan

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