18/02/2010

Les artistes irakiens en ligne de mire

UEI.jpgLe regard bienveillant du poète communiste Mohammed Mahdi Al Jawahiri (à gauche sur la photo) veille sur l’Union des écrivains irakiens. Le portrait trône au mur, avec la même déférence qui pousse les religieux à encadrer la photo de l’ayatollah Al Sistani. L’association, fondée en 1959, aime à s’entourer de ses précieux aînés : Ma’rouf Al Rosafi, auteur d’une vie du prophète écrite en 1934 et parue seulement en 2004, Badr Chaker El Sayab, fondateur de la poésie moderne, Mudhaffer El Naouab, le poète populaire… Les fleurs de la culture irakienne ont poussé, sans regard pour les troubles politiques et porté par un amour national des belles lettres. Ne dit-on pas en Irak, avec une pointe d’orgueil : « L’Egypte écrit les livres, le Liban les imprime, mais ce sont les Irakiens qui les lisent ! »


Mais si la littérature poursuit toujours sa course malgré les aléas de l’histoire, elle n’échappe pas aux drames qu’elle essaime. La chute de Saddam Hussein en 2003 n’a pas libéré les artistes. Elle les a soudain poussés sous la coupe des fondamentalistes de tous bords. « Sous Saddam, nous manquions des formes les plus élémentaires de liberté de presse. Aujourd’hui, les parutions ne souffrent plus d’aucune censure. Parfois même au détriment de l’unité du pays. Mais, cela signifie-t-il que les menaces ont cessé ? Non », soupire Fadhil Thamir, président de l’Union des écrivains irakiens. Les chiffres lui donnent raison : plus de deux cents journalistes auraient été assassinés ces dernières années. « Dans certaines régions, un artiste peut encore être tué pour le simple motif qu’il balade un instrument, ajoute le président. La situation est meilleure, de nos jours. Mais les milices n’acceptent pas le changement. Al Qaïda refuse toute forme d’art. Nous assistons à une confrontation silencieuse. Nous devons restés alertes. Au moindre répit, ils reprendront l’attaque. »

UEI2.jpgSalah Zamel (photo ci-contre) connaît le prix à payer pour s’affranchir du fondamentalisme. Ecrivain et journaliste, il avait élu domicile dans le quartier réputé bohême du Caire à Bagdad. « C’était en août 2006. Un été très chaud. Comme beaucoup d’Irakiens, je dormais sur le toit pour profiter de la fraîcheur. A 6h du matin, un camion citerne explose devant chez moi. J’ai eu de la chance car il n’était pas plein. Sinon, c’est tout le quartier qui aurait été détruit. J’ai perdu connaissance et été conduit à l’hôpital », raconte-t-il. A son réveil, il apprend la mort de sa femme et de trois de ses enfants. Tandis qu’il se souvient, Salah Zamel couve des yeux son fils survivant, Ayad, qui dessine sur le large bureau du président. « J’ai continué en partie à travailler comme chroniqueur. Mais je poursuis plutôt mon travail à l’université. Je prépare un doctorat. »

Les artistes irakiens scrutent avec circonspection l’agitation politique qui règne à l’approche des législatives. Peu confiants en la capacité des acteurs au pouvoir de garantir la vivacité artistique. « Les politiques poursuivent leur propre agenda. L’usage de la force est un moyen d’assurer leur gouvernance. Quand on leur parle culture, ils répondent qu’ils ont d’autres priorités, regrette Fadhil Thamir. Mais je pense plus simplement qu’ils n’aiment pas la culture. Certains pensent encore que les instruments de musique sont l’œuvre de Satan. Ils ne peuvent le dire, bien sûr, mais ils le croient. »

12:58 Publié dans Reportage | Lien permanent | Commentaires (4) | Tags : irak

Commentaires

Bravo pour tes chroniques irakiennes que je lis attentivement quand nos trois petits enfants sont couchés et que je peux souffler un moment. J'apprécie à la fois le fond et la forme et je ne suis pas le seul puisque des amis m'ont appelé pour que je te transmette leurs félicitations. Sois prudent dans tes déplacements. Nous pensons bien à toi et ta mère se joint à moi pour t'envoyer nos encouragements les plus affectueux.

Écrit par : LECUYER Bertrand | 18/02/2010

Je partage l'avis de Bertrand et Anne Marie, c'est un plaisir de lire tes articles et de s'immerger dans ces mondes mal connus l'espace de quelques instants; cela donne envie d'en découvrir toujours plus ..
Un regret: nous venons seulement maintenant d'avoir l'adresse de ton Blog. Félicitations

Gaëtan Blin

Écrit par : Blin Gaëtan | 28/02/2010

Dire que Bagdad est le berceau de notre civilisation !

Écrit par : huile de nigelle | 15/09/2011

Oui la vie n'est pas facile pour les artistes irakiens

Écrit par : devenir manager | 24/09/2012

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